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Citoyens du Monde, Jardiniers de la Paix
6 mars 2020

Brésil, Rome et Retour

Chers amis,

Ça y est, me voilà.

C’est avec beaucoup d’émotions que j’écris ce message.

Avec le retour de ce grand tour du monde, à la rencontre des

 

« Jardiniers de la paix ».

 

 

Brésil, ce pays de cœur, ce pays d’adoption

Après ma grande escale en France cet été, je suis repartie en octobre au Brésil, ce pays que j’affectionne tant.

J’aime l’énergie de ce peuple, leur positivisme, leur résilience, leur légèreté et à la fois leur sérieux. J’aime leur manière de toujours transformer le difficile en une pensée remplie d’espoir. Leur manière de ne pas tout critiquer mais au contraire de valoriser ce qui se fait et ce qui est possible. Leur manière de célébrer et de reconnaître ce qui est beau.

Pourtant, comme pour tout pays, tout lieu, toute personne, il y a aussi tous les défis et les contrastes. Là-bas, dans un contexte politique particulier, j’ai pu rencontrer des hommes et des femmes, qui agissent à leur échelle, avec tout leur cœur, pour plus d’Humanité : respect des droits de l’Homme, lutte contre les discriminations et les préjugés, lutte pour plus de justice et d’égalité,…

 

Vitória

Je suis retournée à Vitoria, là où se trouve « ma famille de cœur » depuis enfant. Vitória fait partie de l’état de l’Espirito Santo.

Le cœur de la ville est très développé économiquement. Mais dans la « périphérie » et les villes avoisinantes, beaucoup de pauvreté et de misère sociale demeurent. La drogue est très présente et des règlements de compte ont lieu fréquemment entre différents gangs, ainsi que des affrontements avec la police, laissant au sol, sans vie, de nombreux adolescents qui ne percevaient aucun avenir.

Pourquoi en est-on là ? C’est un peu comme l’histoire de l’œuf et de la poule. Est-ce que c’est parce que ces jeunes sont investis dans ces trafics de drogue qu’aucun avenir ne leur est donné et qu’ils sont stigmatisés ? Ou est-ce parce qu’ils n’ont aucun avenir et sont stigmatisés qu’ils ne voient comme seule issue les trafics de drogues ?

Grande question. Le plus important, pour les personnes que j’ai rencontrées, c’est d’agir, pour tenter de modifier ce cercle infernal. En voici quelques exemples :

 

                        André et la capoiera,

alternative à la violence et à la drogue

Durant mon séjour, j’ai pu rencontrer l’équipe du CEU, centre social et culturel d’un quartier où règne beaucoup de violence. Là-bas, André, professeur de capoeira témoigne : 

« La capoeira, c’est un art de vivre. Ce n’est pas un sport comme tous les autres. On apprend à se positionner, savoir attaquer sans blesser, savoir comment réagir, être actif. La capoeira demande aussi une discipline. Elle permet de se donner un focus, de travailler énormément, de discipliner son corps et son esprit, jusqu’à atteindre ce que l’on veut. Elle aide à se canaliser et développer son potentiel.

Nous vivons dans un quartier difficile et beaucoup des jeunes sont sans repères. Beaucoup n’imaginent aucun avenir pour eux et la tentation est grande de s’impliquer dans les trafics de drogue. Les cours de capoeira leur permettent d’avoir un repère solide et stable. Cela leur donne un espace où dégager toute la violence dont ils sont témoins. C’est un lieu d’expression, qui leur permet de développer leur résilience et leur confiance en eux. Mon objectif, c’est de sauver le maximum de ces enfants. 

Si je peux éviter à 3, 4, ou 5 jeunes de s’impliquer dans les trafics de drogue ou dans la violence, c’est déjà ça. Je souffre car ce n’est pas assez. Il faudrait que tous échappent à cela. Mais c’est déjà ça… Alors je continue et persévère. »

 

Geovane, témoignage de résilience

C’est ainsi qu’André a pu accompagner deux frères à surmonter la haine, suite à l’assassinat de leur sœur, tuée, car soupçonnée d’être « espion » dans un quartier, où s’affronte deux gangs pour la drogue.

L’un des frères, Geovane, me dit : « Sans André et la capoeira, nous n’aurions eu que la vengeance comme solution. Mais André a toujours été là pour nous épauler et nous pousser à ne pas tomber dans ce circuit infernal. Aujourd’hui, nous sommes fiers d’avoir réussi à faire ce choix. Et à être resté droit. Mon frère aujourd’hui a trouvé du travail, et moi, je vais être papa ! Notre groupe de capoeira est une vraie famille et c’est grâce à eux tous, que nous nous en sommes sortis…

Geovane me raconte également qu’un jour, lui aussi a été assimilé comme faisant partie d’un groupe de trafiquants, à cause de sa couleur de peau, par un gang important venu mettre l’assaut sur le marché de la drogue dans son quartier. Ils voulaient alors le « descendre ». Sur 40 tirs, il en a reçu 2, une balle dans chaque jambe. Il a alors couru aux urgences,  sans relâche malgré la douleur, et est arrivé en anémie sévère, suite à la perte de sang. Il a eu besoin de deux mois pour se remettre debout.

   -  Comment fais-tu pour aller de l’avant comme cela aujourd’hui ?

  -  Je veux montrer aux enfants de mon quartier, que tous les noirs ne sont pas des bandits ou des trafiquants de drogue. Nous devons changer cette idée ! Je veux aussi leur prouver que ni notre origine, ni notre appartenance, ni notre couleur de peau, ni notre lieu de vie, ne peut définir qui l’on veut devenir. Je veux leur prouver que c’est possible d’y arriver et de s’en sortir. Leur montrer qu’ils doivent se battre et garder espoir en la vie, continuer de rêver et réaliser leurs rêves.

Je suis éberluée par ces propos et me demande comment à 24 ans, avec une telle histoire, on peut être si sage, rempli de paix et résilient…

 

Fernando et son quartier : des projets tout en couleurs !

Je rencontre ensuite Fernando. Vivant dans le quartier « Jésus de Nazareth » depuis sa naissance, il a créé avec divers personnes, un projet, pour changer l’image de ce lieu : Souvent, il est présenté dans les médias, seulement pour parler des situations de violence, règlement de compte et décès de jeunes, toujours en lien avec les trafics de drogues.

En développant un « tourisme local », l’idée est de promouvoir une image positive du quartier. Des personnes du centre de Vitória ou de quelconque endroit peuvent venir passer une demi-journée ou une journée entière en « immersion » dans ce lieu surprenant. Ils rencontreront ainsi des habitants, qui travaillent, et œuvrent humblement à créer leurs vies.

L’idée est de mettre la lumière sur eux, pour d’une part, que les personnes extérieures déconstruisent leurs préjugés et découvrent qu’il y a aussi des choses qui se réussissent ici ; D’autres part, que les jeunes originaires du quartier aient des modèles d’inspiration et de réussite, et deviennent fiers de là où ils vivent. Ils rencontreront celle qui fait des pains et des spécialités à aller vendre sur le marché, une enseignante, des ouvriers, et des jeunes qui participent à la rénovation de leurs lieux de vie.

 

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Les projets ne cessent de fleurir à « Jésus de Nazareth ».

Un jeune a eu l’idée de repeindre toutes les maisons en dessinant le portrait des premiers habitants sur chaque demeure, en indiquant qui ils étaient, leurs fonctions et ce qu’ils ont apporté au quartier. Au bord de l’eau, près de « la petite plage », ils ont prévu de réaliser une peinture murale géante, pour égayer le lieu et le rendre attrayant, pour les touristes qui voudraient venir déguster la « moqueca » (spécialité au poisson ou fruits de mer) dans les petits restaurants du coin.

Des projets ont aussi été réalisés pour réduire le dépôt d’ordures dans certains espaces, vite transformés en décharges à ciel ouvert. A la place des ordures, ils ont planté des fleurs et décoré ces lieux.

Le quartier étant sur un petit mont, l’équipe a aussi décidé d’organiser un grand marathon afin de monter tous les escaliers du quartier en un temps record ! Cela permet d’attirer les personnes de l’extérieur, afin de créer du lien et leur permettre de découvrir la réalité de ces habitants, contraints de monter et descendre tous les jours ces centaines de marches, repeintes de toutes les couleurs pour l’occasion !

 

            Lia et les jeunes :

« Je veux que personne ne vive ce que j’ai vécu »

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Par la suite, j'ai également pu rencontrer Lia.  Elle vit dans le quartier de Flexal. Elle a décidé de faire de son lieu de vie

un lieu d'accueil pour les jeunes du quartier,  particulièrement pour les jeunes filles. Bibliothèque, atelier de slam et de poésies, ateliers de photographie, de soins, de cuisine,... A notre venue, elle était en train de terminer les travaux pour ce qui allait devenir un studio radio, à destination des personnes du quartier ou de divers horizons afin de témoigner de ce qu'ils font. Après avoir échangé avec Lia, petit à petit, elle nous a confié un peu de son histoire.

Enfant et adolescente, elle a subi des violences extrêmes. Elle ne voyait aucun avenir possible pour elle. Elle avait huit ans quand elle a décidé de se battre puis de tout faire pour s’en sortir. Par la suite, elle a décidé d’offrir des espaces de paroles et d'expressions à des jeunes en souffrance.

“ Ce que j'ai vécu, je ne veux qu'aucun autre ne le vive. “

Lia donne son temps et met toute son âme et son énergie pour poursuivre ses projets et redonner confiance en la vie, aux jeunes. Lia est devenue avocate. Elle aurait pu depuis longtemps quitter le quartier, mais pour elle c'est un choix de rester. 

“Je suis faite pour vivre ici, avec eux, et contribuer à faire évoluer les choses au milieu d'eux.”

Je suis très marquée par la force et à la fois la grande sensibilité de Lia. Pendant notre échange, quelques larmes perlent sur son visage. Sa petite fille qu’elle tient dans ses bras, la regarde et s'inquiète:

“- Maman tu pleures ? Je ne veux pas que tu pleures maman... Ne pleures pas maman ! S'il te plaît maman… Tu pleures ?!

  - Ce n'est rien ma petite, tout va bien, ne t'inquiète pas, tout va bien.”

Cette petite de 2-3 ans perçoit déjà la grande sensibilité et la lutte que mène sa maman. Lutte pour la vie. Lutte de l'être humain. Elle a la chance d'avoir une maman résiliente et forte qui saura lui montrer comment aller de l'avant dans un contexte difficile.

Avoir une maman qui pousse la nouvelle génération à renforcer cette résilience : Voici de sacrées graines semées…

Le racisme et l’esclavage

J’ai pu ensuite rencontrer Moacir, Lula, Meyrieli, qui m’ont beaucoup partagé sur le racisme et les idées reçues sur les noirs.

Leur analyse est riche et intéressante. Ils me retracent l’histoire de ce racisme depuis l’esclavage.

A l’abolition de ce dernier, ils observent que le regard sur la personne noire n’a jamais été pleinement reconsidéré ni travaillé : rien n’a été mis en place pour accompagner les anciens « esclaves » à trouver une situation digne, et atteindre une nouvelle classe sociale. Ils sont restés pour la plus grande majorité dans la misère.

Les préjugés sur les noirs restent extrêmement présents. Jusqu’à ce jour, à l’école, au niveau de la vie sociale ou de l’emploi, les remarques, insultes et rejets sont fréquents. Une conférence à laquelle j’ai pu assister, dénonçait le taux d’homicides très élevé contre les adolescents noirs.

Il n’y a pas de travail de fond qui a été effectué pour « s’envisager » avec respect et égalité, laissant des vieilles mémoires inconscientes demeurer.

Malgré la lourde réalité que je découvre par leurs témoignages, je sens loin d’eux pourtant l’idée de se plaindre pour être vus en victimes. Avec leurs grands sourires, ils luttent pour travailler à la prise de conscience de la population, de l’urgence de se reconsidérer et de tendre à plus d’égalité. En parallèle, ils travaillent avec les jeunes générations noires, afin de les aider à se construire, augmenter leurs chances d’avoir un meilleur avenir, et s’affirmer.

 

Joselio et la prévention contre la violence faite aux femmes

Avec Josélio, ami psychologue, nous avons davantage échangé sur la question de la violence que subissent les femmes au Brésil. Le taux d’homicides reste extrêmement élevé. Je découvre par différents témoignages que le machisme reste très présent au Brésil. Des campagnes dénoncent ces faits.

Et Josélio analyse avec un regard critique ce pays connu pour « son culte du corps ». Joselio intervient auprès d’étudiants lycéens et à l’université.

Dans un contexte politique tendu, je suis éberluée d’entendre que lors d’une pause d’un cours donné en amphithéâtre à ce sujet, on lui dit d’être vigilent dans ses propos, car il peut être considéré comme « protagoniste » d’un des groupes politiques, important au Brésil.

La défense du respect de l’intégrité craint d’être objet politique et non plus valeur universelle ? J’en reste jusqu’à ce jour perplexe et très choquée. Cela m’interroge sur ce que cela peut impacter…

 

A Salvador, témoignages d’enfants

et l’engagement d’adultes

 

 

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A Salvador, j’ai été marquée par cet échange avec ce grand garçon de 9 neuf ans. Il a eu les yeux pleins d’étoiles en nous voyant, nous étrangères, mon amie venue me rendre visite et moi. « L’exotisme » de l’évasion l’a invité à rêver à un avenir « ailleurs », et à nous parler de la vision de son pays et de sa réalité.

« Ici, il y a trop de violence. On ne peut pas vivre. Quand je vois quelqu’un voler le sac à main d’une femme dans la rue, je ne peux rien faire ! Je ne peux pas l’aider ! J’aimerais aller vivre ailleurs, tranquille ! »

L’anecdote veut que quand je l’interroge sur le pays où il aimerait aller habiter, il me répond : « Les Etats-Unis ». Ne débatons pas sur ce sujet et revenons sur ses propos. Cet enfant de 9 ans est confronté quotidiennement à la violence et prend conscience de son impuissance. Quel regard sur le monde, sur sa vie, sur son avenir peut-il avoir ?

Je suis perplexe de ce témoignage reçu en quelques minutes seulement.

Plus tard, nous allons rencontrer une association et un centre culturel, qui comme ce que j’ai vu à Vitória, travaille à offrir aux enfants des espaces d’expression et de résilience, par le chant, la musique, le sport, des ateliers coutures ou d’expression théâtrale…

J’entends auprès de Vinicius, éducateur, les mêmes propos et la même conviction qu’André et Geovane à Vitória :

« Nous vivons dans un quartier avec une extrême misère sociale, beaucoup de violence, et de trafics de drogue. Si nous pouvons montrer à ces enfants qu’un autre avenir est possible, c’est une victoire. Nous aimerions tous les sortir de cette situation. Le plus important est d’agir et qu’ils aient d’autres modèles de réussite, d’autres chemins où s’engager… »

 

Ces jardiniers de la paix

Je suis très marquée par tous ces « jardiniers de la paix » qui travaillent dans l’humilité et dans l’ombre, avec tout leur cœur et leurs convictions avec l’idée : « Je dois faire ma part ».

Partout dans le monde, à chaque endroit où j’ai été, j’ai rencontré des hommes, des femmes qui agissent pour plus d’humanité, de valeurs, de dignité.

Ils agissent pour créer des ponts et rassembler, pour aider à se réconcilier et pardonner. Ils travaillent à ouvrir les esprits et changer les mentalités.

C’est un travail de fourmis. Mais c’est une fourmilière géante.

Ce travail est souvent invisible et pourtant, quelle serait la réalité sans ces jardiniers ?

Ils me marquent et je les admire. Ils font un travail tellement incroyable partout dans le monde… J’en reste éberluée.

Ils ont tellement à nous apprendre…

 

Commémorations des 30 ans de la mort de Gabriel Maire

Ce voyage s’est terminé en apothéose avec les commémorations de celui qui m’a énormément marquée et inspirée depuis enfant : Gabriel Maire.

Gaby était un ami de la famille. Il est parti travailler dans les années 80 au Brésil, en pleine dictature. Il s’est engagé auprès des plus pauvres pour les accompagner à prendre conscience de leurs droits et lutter pour les défendre. Il a beaucoup dérangé, et s’est fait assassiné le 23 décembre 1989. Un groupe du Jura est venu au Brésil pour les commémorations des 30 ans de sa mort.

Lors de ces trois semaines, nous avons rencontré de multiples personnes qui ont connu Gaby et qui ont été marquées à vie par lui. Ce temps a été très fort…

Terminer mon voyage en voyant ce qu’un « jardinier de la paix » continue de produire comme fruits 30 ans après sa mort, cela me pousse à croire que chaque graine plantée est précieuse…

Et que chacun, à notre échelle, nous pouvons en semer…

 

Retour et Rome

Je suis rentrée fin décembre, après Noël, pour reprendre pied ici. Un groupe d’amis brésiliens est arrivé quelques jours plus tard pour poursuivre les commémorations en France. Gaby a toujours voulu créer un pont entre les continents.

Nous avons pu encore davantage percevoir l’importance de ce pont, solide et fort entre nous.

J’ai pu ensuite profiter de quelques jours passés avec les amis brésiliens à Rome et à Assise, pour rencontrer une femme faisant partie du groupe des « Focolari », créé par Chiara Lubich. Cette femme a créé ce mouvement œcuménique à la suite de la seconde guerre mondiale, afin de renforcer le lien entre les chrétiens. Rapidement, son mouvement a pris une dimension inter-religieuse, en créant du lien avec des musulmans, des bouddhistes, hindouistes,…

… Chacun se reconnaissant justement dans des valeurs communes !

 

Et maintenant…

Après ce grand voyage, l’heure est venue pour moi de passer de la plume à l’ordinateur, et d'aller chercher plus en profondeur la sève et le message profond de cette grande expérience. 

J’arpenterai ensuite les routes pour vous rencontrer et vous partager ce grand voyage qui m’a tant marquée, à la rencontre des « jardiniers de la paix ».

Nous pourrons échanger ensemble sur cette grande aventure humaine, et nous interroger :

« Quelles graines avons-nous déjà planté ? Et quelles graines voulons-nous encore planter ? »

 

 

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